Un éloge du temps long

Un exemple de simulation d’une expérience du LHC
Un exemple de simulation d’une expérience du LHC – © 1997 – 2015 CERN sous contrat CC-BY-SA-4.0.

Le 4 juillet 2012, les expériences Atlas et CMS du Grand collisionneur de hadron (LHC) ont annoncé avoir identifié le boson BEH. Cela conduira à l’attribution du prix Nobel de physique 2013 à François Englert et Peter Higgs. Au moment où j’écris ces lignes, les expériences du LHC continuent, tandis qu’il monte dans les niveaux d’énergie. Le 6 août 2014, la sonde Rosetta rejoint la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko, notamment pour y déposer un module appelé Philae. Cette mission est à l’heure actuelle toujours en cours.

Quel est le point commun entre une expérience de physique des particules et une mission scientifique spatiale ? Elles s’inscrivent toutes les deux dans une longue durée : les premiers articles théorisant le boson BEH ont été publié en 19641François Englert et Robert Brout, 1964. « Broken symmetry and the mass of gauge vector mesons », Physical Review Letters, vol. 13, n° 9,‎ pp. 321 – 323. DOI : 10.1103/PhysRevLett.13.321, consultable en ligne.2Peter W. Higgs, 1964. « Broken symmetries and the masses of gauge bosons », Physical Review Letters, vol. 13, n° 16,‎ pp. 508 – 509. DOI : 10.1103/PhysRevLett.13.508, consultable en ligne. et la conception du LHC a débuté en 1994. Les prémices de la mission Rosetta, quant à elles, remontent à 1984 avec la validation du projet Horizon 2000.

Ces derniers temps, Michel Onfray se demande où sont nos cathédrales. Par cette formule, il critique le fait que notre civilisation décadente ne serait plus que consumériste, désormais incapable de mener des projets de grande ambition et de longue durée. Le LHC et Rosetta sont pourtant des exemples de projets qui se sont inscrits dans des temps plus longs que les carrières des individus qui les ont mené à terme. Voilà bien des exemples d’entreprises qui dépassaient ceux qui les ont entrepris, qui non seulement ont conduit à des réalisations matériels, mais ont également permis d’avancer dans notre compréhension du monde.

Si l’on veut s’en tenir aux seuls projets architecturaux, on peut par exemple noter que le concours pour sélectionner le projet de bâtiment qui deviendra le musée du quai Branly a été ouvert en 1999, tandis que l’inauguration du musée a eu lieu en 2006. La superficie de l’édifice est bien plus importante que celle de la cathédrale Notre-dame de Paris et il est dédié aux cultures et à l’Histoire. Je ne suis pas certain qu’il faille regretter que les méthodes de constructions moderne permettent de réaliser des bâtiments encore plus ambitieux que des cathédrales en bien moins de temps qu’il n’était nécessaire pour terminer ces dernières…

À mon sens, voici au moins trois exemples, mais je pourrais en donner bien d’autres, qui prouvent que l’esprit des bâtisseurs de cathédrales est toujours bien vivant. C’est-à-dire la volonté de réaliser des projets ambitieux qui dépassent ceux qui les mettent en œuvre. Plus encore, au-delà de toute conviction religieuse, que les projets d’envergures ne soient désormais plus uniquement assujettis à la religion ou au prestige du pouvoir politique me semble de toute façon un bon signe.

Enfin, je considère qu’au moins les deux premiers exemples sont clairement des réussites européennes. Sans l’Europe, on peut douter qu’une coordination d’autant de pays sur une durée aussi longue ait pu être aussi fructueuse, si même elle ait pu exister. Si l’Europe montre, au moment où j’écris ces lignes, de graves dysfonctionnements, comme sur le cas de la Grèce ou sur celui des migrants, il me semblerait dommage que ces difficultés objectives soient l’occasion de jeter le bébé avec l’eau du bain.

Notes

Notes
1 François Englert et Robert Brout, 1964. « Broken symmetry and the mass of gauge vector mesons », Physical Review Letters, vol. 13, n° 9,‎ pp. 321 – 323. DOI : 10.1103/PhysRevLett.13.321, consultable en ligne.
2 Peter W. Higgs, 1964. « Broken symmetries and the masses of gauge bosons », Physical Review Letters, vol. 13, n° 16,‎ pp. 508 – 509. DOI : 10.1103/PhysRevLett.13.508, consultable en ligne.

Publié par

Yoann Le Bars

Un enseignant-chercheur avec un peu trop de centres d’intérêts pour pouvoir résumer…

6 réflexions au sujet de « Un éloge du temps long »

  1. Les projets du XXIème siècle et les ambitions humaines modernes sont telles que j'ai réellement et sincèrement du mal à comprendre comment il est possible de penser que l'esprit des bâtisseurs de merveilles s'est éteint. Les 7 merveilles du monde de 2015 sont différentes de celles de l'antiquité, mais elles n'en sont pas moins extraordinaires.

  2. Tout à son intention de mettre en évidence la décadence de notre civilisation, Michel Onfray a peut-être désormais du mal à se dé-ciller. Je l’inviterais bien à éteindre sa télévision, mais je ne voudrais pas avoir l’air mesquin…

  3. Considérer que percer les secrets de la matière ou des "origines" (je mets de TRÈS GROS guillemets) n'est pas comparable à l'édification de cathédrales et dans l'intention et dans la durée des travaux, c'est quand même bien manquer de vision à long terme il me semble ^^

    1. C’est intéressant, à la base je n’avais pris Michel Onfray que comme exemple, certes à mon sens significatif, de la tendance à considérer que « tout fou l’camp ». Finalement, j’ai l’impression que c’est surtout ça qui fait réagir, l’exemple était peut-être bien choisi ! En tout cas, mon idée était surtout de relever que, même si des difficultés existent objectivement, il y a encore des raisons d’espérer.

      Après, je trouve intéressant que Michel Onfray, ouvertement athée militant, ne se réjouisse pas que l’esprit des bâtisseurs de cathédrales se soit déplacé ailleurs que sur la religion. En tout cas, puisque le sujet semble susciter un certain intérêt, j’en profite pour signaler que je prépare une série qui s’intitulera « Critique de la raison de Michel Onfray », qui aura pour but d’interroger de manière constructive certains aspects de sa pensée – tant de choses que je voudrais aborder ici…

      Une petite anecdote pour finir ce commentaire : poursuivant la série commencée par « Comment j’ai prolongé les travaux de Galilée ! » je suis en train de finaliser le prochain article à paraître – j’ai fini la version française, je suis en train de m’occuper de la version anglaise – qui s’intitule « Tout est relatif, mon cher Bruno ». À cette occasion, je me suis de nouveau plongé dans des textes anciens (cette fois-ci je remonte jusqu’à Aristote et même un peu avant). Notamment, dans une lettre de Galilée à Kepler, avant toute chose, ce dernier se lamente des vicissitudes de son siècle.

      Platon, déjà, avant lui…

      Finalement, il semble que, depuis bien longtemps, tout va à vaut-l’eau !

  4. Francis Cabrel, plus perspicace que toute la Science de l'humanité ?
    "C'était mieux avant..." ^^

    Au passage, comme j'ai précédemment voulu rester sur le mode de la saillie drolatique, voire carrément du troll, je n'ai pas approfondi mais il est vraiment intéressant, et en cela je vous rejoins parfaitement, de voir que l'exemple d'Onfray se rapporte aux édifices religieux et pas à la science.
    L'édification d'une théorie "complète" (je caricature, vous voudrez bien me pardonner ^^) sur la gravitation risque de prendre plus de temps que celle de Notre Dame !

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