Voulez-vous être de ceux-là ?

Qu’est-ce que le harcèlement ?

La lutte contre le harcèlement fait partie, avec ma comparse Chloé Debauges, de nos engagements. Force est de constater que sur ce sujet, il y a beaucoup de coups à prendre, que c’est une lutte sans cesse recommencée.

Mais qu’est-ce que le harcèlement ? À quel moment dépasse-t-on la simple blague, à quel moment n’est-on plus dans le débat, la critique ? À quel moment devient-on un harceleur ?

Si on voit souvent la position selon laquelle il y aurait une frontière fine, difficile à bien définir, mon expérience tend au contraire à indiquer qu’il est assez simple de déterminer ce qu’est le harcèlement. Si on tend à penser que la distinction n’est pas évidente, c’est, pour ce que j’ai pu en voir, parce que nous sommes tous très facilement enclins à prendre fait et cause non pas pour la victime, mais pour les harceleurs. Je vais essayer de vous en convaincre.

Mais tout d’abord, il faut que je vous fasse part de mon expérience du harcèlement. Pour ma part, comme beaucoup, ça a commencé en sixième. Dans la cour de récréation, tous les élèves de sixième avaient à subir, chacun à leur tour, des brimades, qui pouvaient aller jusqu’à des coups. Pour ma part, ce fut effectivement un tabassage en bande. Ce qui avait particulièrement fait rire mes agresseurs, c’est que je m’étais rebellé, mais aussi qu’ils étaient parvenus à me faire pleurer.

Suite à cette expérience, je me suis dit deux choses : tout d’abord, je ne suis pas une victime et par ailleurs, je vaux mieux qu’eux. À un point qu’ils ne seraient pas en mesure de comprendre.

J’ai alors mis en place toute une série de stratégies qui m’ont permis de faire en sorte que, systématiquement, quand quelqu’un s’en prenait à moi, il serait pris sur le fait par l’équipe d’encadrement ou l’équipe pédagogique. Et donc puni. Ceci, sans que, jamais, je n’aie à faire une dénonciation directe. Je ne détaillerai pas ces stratégies, tout d’abord parce que ce n’est pas le sujet de ce texte et que ça serait trop long, mais surtout parce que, j’y reviens plus bas, ce n’est pas aux victimes de porter la responsabilité de mettre fin au harcèlement, mais aux harceleurs et aussi, au premier chef, au groupe social. C’est essentiel. Si ces stratégies ont été efficaces dans mon cas, il est important qu’on ne conseille pas aux victimes de se débrouiller d’elles-mêmes, comme je l’ai fait, mais bien que chacun participe à mettre fin à la spirale du harcèlement.

Mais donc, voilà : suite à cette première fois, j’ai pu faire en sorte que, sans qu’elle comprenne comment, toute personne qui s’en prenait à moi était systématiquement vue et punie. Ça m’a donné un fort sentiment de supériorité, lequel, il faut bien le reconnaître, était fondé sur des faits objectifs…

Mais le plus intéressant, c’est que, plus tard, alors que nous étions adultes, j’ai rencontré à nouveau certains de ceux qui ont participé à mon harcèlement – plutôt, en l’espèce, aux tentatives de me harceler. Il m’est apparu particulièrement intéressant de constater qu’ils ont conservé de cette période un sentiment d’injustice : c’était tout de même très étrange, car avec moi les choses ne se passaient pas comme avec les autres. Si, en général, il y avait une forme d’impunité, avec moi, c’était différent : systématiquement, ça finissait par une punition. Plutôt que de se demander si ça n’était pas leur conduite qui était anormale, de toute évidence, ils ont cru y déceler une forme de favoritisme me concernant et attendaient à ce que j’éprouve une certaine culpabilité.

En aparté, soyons clairs : il est bien entendu que je n’éprouve aucune culpabilité. Il faudrait que je regrette de ne pas m’être laissé faire ? De ne pas avoir cédé, alors que c’était bel et bien leur attitude qui était totalement illégitime et, plus encore, inacceptable ? Je peux le leur dire : n’y comptez pas le moins du monde, je suis tout à fait fier d’avoir trouvé le moyen de vous mettre systématiquement en échec sans même que vous ne compreniez ce qui se passait. Mais, surtout, notez l’inversion : les responsables ne reconnaissent aucune culpabilité et, plus encore, attendent de la victime qu’elle se sente coupable. Différents éléments m’incitent à penser que ce point n’est ni spécifique à mon cas, ni anodin.

Pour ma comparse Chloé Debauges, également, la rencontre avec le harcèlement a principalement eu lieu au collège. Pour elle aussi, dès la classe de sixième. Néanmoins, sous une forme différente, puisque ça a conduit à ce que, littéralement, un élève plus âgé tente de la jeter sous un bus. Plusieurs fois. Cela l’a conduite à réaliser un court-métrage sur la question, auquel j’ai participé et qui est disponible, vu d’ici. Pour sa part, elle n’a pas été en mesure de mettre en place des stratégies permettant de contrer ce harcèlement : il a perduré. Pendant tout le collège. C’est arrivé au point qu’un élève, en cours de biologie, a mis le feu à ses cheveux, juste pour voir. Elle est, au sens propre, une rescapée.

Ce qui est intéressant, c’est qu’elle a demandé de l’aide à l’équipe encadrante du collège. Qui a toujours refusé d’agir : on lui conseillait de ne pas réagir, ne pas répondre. Ça s’arrêterait de soi-même.

Ça n’a pas pris fin. Au contraire, le sentiment d’impunité était très grand. D’ailleurs, elle était cette personne un peu étrange, donc, quelque part, elle devait bien le mériter un peu… Avec le recul, il semble bien que, d’une certaine manière, même l’équipe pédagogique avait un peu ce réflexe : elle n’était pas comme les autres, après tout, il fallait bien qu’elle rentrât dans le rang.

Il m’apparaît désormais assez clairement que le harcèlement est notamment un moyen dans l’organisation de nos sociétés pour normaliser les comportements, pour éviter que les marginaux ne se comportent comme tels. En étant le nouveau, chacun à notre tour, nous avons eu à subir cette forme de rite de passage. La majorité a opté pour faire profil bas, ne pas donner l’impression de ne pas se conformer au moule. Une petite partie, afin de s’assurer de ne plus jamais être la cible, a opté pour prendre une part active dans cette dynamique et c’est ainsi, non seulement que des victimes se transforment en bourreaux, mais aussi que se perpétue cette mécanique. Une part encore plus petite, elle, ne se soumet simplement pas : elle ne se laisse pas imposer. Cette toute petite part est celle qui est la cible principale.

Or, la majorité des élèves, mais en vérité la majorité des encadrants également, se sont trouvés dans la même situation avant et a, elle, accepté de se soumettre. Si on laisse, à ceux qui le refusent ou qui n’en sont pas capables, l’opportunité de ne pas avoir à rentrer dans le rang, on voit bien que cela crée une différence de traitement avec soi-même. Or, contrairement aux fourmis, les êtres humains sont sujets au sentiment d’injustice1Même si ça n’est pas le sujet central de la vidéo, il se trouve qu’une vidéo de Fouloscopie en parle et que, par ailleurs, c’est une excellente vidéo : Moussaid, Medhi (2025). « Peut-on travailler comme des fourmis ? », Fouloscopie. Disponible en ligne.. Voici mon hypothèse de comment nait, insidieusement, inconsciemment, cette idée que, quelque part, si une personne est harcelée, c’est qu’elle l’a cherché, au moins un peu…

Il faut l’affirmer bien clairement : aucun harcèlement n’est légitime, point. Surtout, la lutte contre le harcèlement, c’est d’abord l’affaire des harceleurs, qui doivent apprendre à se conduire, ensuite celle de la société, pour laquelle ça doit cesser d’être un moyen de régulation des comportements, d’autant plus que cela porte sur des comportements qui, s’ils sortent de la norme, ne posent généralement aucun problème. En aucune manière ne faut-il faire porter la responsabilité de mettre fin au harcèlement à la victime : c’est une fois de plus une injonction à cette dernière de rentrer dans le rang. Autrement dit, ça participe directement du harcèlement. Et l’expérience l’établit clairement : jamais ignorer les harceleurs n’a mis fin à un harcèlement. Jamais. Ce point ne fait aucun doute.

Pourquoi donc est-ce que je publie le présent texte maintenant ? Il commence à être de notoriété publique que Chloé et moi sommes intervenus dans une affaire de harcèlement et nous avons réussi à démontrer que cette affaire reposait au moins en grande partie sur des mensonges. Ceci nous a valu d’être à notre tour sujets à du harcèlement, qui n’a toujours pas pris fin. Par ailleurs, il est de notoriété publique, mais il convient de le rappeler pour la suite, que Thomas Durand est plaignant à nos côtés dans cette affaire. Cependant, le temps de la justice étant long, ce n’est pas encore le moment d’en parler publiquement.

La raison pour laquelle je publie maintenant ce texte, c’est en rapport avec une affaire plus récente.

Quels sont les faits ?

Thomas Durand, qui utilise le pseudonyme Acermendax, diminué en Mendax, a publié le 9 août 2023 une vidéo étayée de nombreux éléments factuels indiquant clairement que l’on pouvait douter de l’expertise dont se revendiquent Marie Peltier et Stéphanie Lamy2Durand, Thomas (2023). « Fausse expertise chez les anti-complotismes ? », La Tronche en biais, disponible en ligne..

Était-ce légitime ?

Il se trouve que Marie Peltier et Stéphanie Lamy étaient régulièrement invitées à s’exprimer publiquement, au nom de cette expertise alléguée, sur ces sujets. Elles avaient donc une influence importante, laquelle se paraît d’une expertise en définitive contestable. Pour la bonne tenue du débat public, il était important non pas de les faire taire, ce dont il n’a jamais été question, mais bien d’interroger cette expertise sur une base factuelle et c’est précisément ce qu’a fait Thomas. Si vous regardez bien la vidéo, à aucun moment n’appelle-t-il au harcèlement de Marie Peltier et Stéphanie Lamy, bien au contraire. La distinction est très claire entre un contenu informatif et sourcé et une dynamique de harcèlement.

Quelles ont été les conséquences ? Il semble bien que, suite à cette information, les responsables éditoriaux ont été plus réticents à inviter Marie Peltier et Stéphanie Lamy. Ce qui est une attitude parfaitement rationnelle : si vous avez des éléments factuels importants permettant de douter de l’expertise d’un intervenant, il est normal que vous réfléchissiez à deux fois avant de l’inviter à s’exprimer sur le sujet de son expertise alléguée. Certes, il n’est jamais agréable de s’entendre dire qu’on a tort et de toute évidence, Marie Peltier et Stéphanie Lamy commençaient à s’établir une assise médiatique qui, sans nul doute, leur était profitable. Au demeurant, dans la mesure où la vidéo de Thomas était factuelle, si son contenu était faux, des expertes n’auraient eu aucun problème à le démontrer.

Ce n’est cependant pas cette voie qu’elles ont choisie. À la place, elles ont inondé le réseau social X de messages attaquant Thomas. Bien entendu, j’ai pu rater quelque chose. Au demeurant, je n’ai pas trouvé de la part de Thomas de message attaquant directement ni Marie Peltier, ni Stéphanie Lamy. Parfois, certes, il répond à d’autres personnes lorsqu’il est attaqué. Peut-on vraiment lui reprocher de défendre ainsi son honneur ?

Car en face, c’est une inondation : tous les jours, Marie Peltier et Stéphanie Lamy déversent des messages multipliant les attaques jamais étayées à l’encontre de Thomas. Et la démesure est totale : par exemple, pour simplement lire les messages qu’elles ont déversés pendant les deux premières semaines de janvier 2025, il faut sept heures3Durand, Thomas (2025). « Victimisation – Marie Peltier, Stéphanie Lamy et le méta-harcèlement », Épique Épochè. Disponible en ligne.. Sept heures… Rien que cela permet de n’avoir aucun doute sur qui sont les harceleurs et qui est la victime.

Toutefois, notez l’inversion : lorsque la victime expose simplement ce qu’elle subit, on prétend que cela démontre son obsession. Au demeurant, il s’agit bien de messages que Thomas doit subir et non pas des messages qu’il a envoyés. Mais comme toujours, l’aveuglement et l’inversion : la victime doit se soumettre, elle doit bien mériter un peu le traitement qu’on lui fait subir. Et les harceleurs de se prétendre être les victimes.

Revoici la spirale bien connue : voilà désormais des personnes pour lesquelles il n’y a aucun doute qu’elles sont bien intentionnées et qui, pourtant, prennent la parole pour dire que, quelque part, la victime doit bien mériter ce qu’elle subit. Après tout, Thomas, c’est vrai, a déjà fait preuve de maladresse dans son expression – comme moi, comme vous. Thomas a déjà fait des erreurs – comme moi, comme vous. Avec le recul, depuis ma confortable position d’observateur, il y a bien des choses que je ne ferais pas ainsi qu’il les a faites, tout comme vous.

Mais vous savez quoi ? Rien de tout ceci n’est pertinent, rien de tout ceci n’est un argument valide : le harcèlement est illégitime, quelle que soit la personne qui le pratique, quelle que soit la personne qui le subit. Le harcèlement que subit Thomas est inacceptable, tout comme est inacceptable le harcèlement réel que subissent Marie Peltier et Stéphanie Lamy de la part de l’extrême-droite. Point. Il n’y a pas d’autre position légitime.

Au demeurant, d’aucuns ont pris publiquement position sur le sujet et, sans connaître le fond de l’histoire, se sont donc prononcé sur le fait que, eh bien, quelque part, Thomas devait bien mériter un peu ce qui lui arrive. Après tout, on n’aime pas la figure de Mendax, sans doute à raison. Et puis, bon, moi je ne ferais pas ainsi. On ne voit pas trop la nécessité de se renseigner sur l’histoire, car, bon, on voit bien de qui il est question… Si vous n’avez pas d’intérêt pour cette affaire, je vous comprends parfaitement : pour écrire ce texte, j’ai dû me pencher plus avant sur l’affaire et sachez que j’ai détesté ça. Simplement, ne prétendez pas, du haut de ce qui sont au sens premier des préjugés, avoir un avis éclairé et encore moins éclairant sur la question. Si, donc, vous n’avez légitimement que du mépris pour cette histoire, optez pour la seule position légitime : tout harcèlement, quelqu’il soit, est inacceptable.

En prenant publiquement des positions tout à fait relativistes, vous n’avez fait qu’armer un peu plus des individus qui se considèrent légitimes à s’en prendre à des gens qui n’ont pas l’heur de leur plaire. Vous avez pris une part active dans la spirale du harcèlement.

Permettez-moi de vous poser cette question : voulez-vous, vraiment, être de ceux-là ?

Notes

Notes
1 Même si ça n’est pas le sujet central de la vidéo, il se trouve qu’une vidéo de Fouloscopie en parle et que, par ailleurs, c’est une excellente vidéo : Moussaid, Medhi (2025). « Peut-on travailler comme des fourmis ? », Fouloscopie. Disponible en ligne.
2 Durand, Thomas (2023). « Fausse expertise chez les anti-complotismes ? », La Tronche en biais, disponible en ligne.
3 Durand, Thomas (2025). « Victimisation – Marie Peltier, Stéphanie Lamy et le méta-harcèlement », Épique Épochè. Disponible en ligne.

Publié par

Yoann Le Bars

Un enseignant-chercheur avec un peu trop de centres d’intérêts pour pouvoir résumer…

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