Si les frères Bogdanoff étaient en orbite, cela aurait-il une influence sur Pluton ?

Grégoire et Igor Bogdanoff
Grégoire et Igor Bogdanoff par François Collard, image sous contrats GDFL et CC BY 3.0, via Wikimedia Commons.

Un scientifique, à plus forte raison un scientifique qui serait à l’origine de bouleversements fondamentaux, est-il plus enclin à faire avancer ses travaux ou à attaquer en justice toute personne qui aurait l’impudence de le contredire ? Sachant que la réfutabilité est au cœur d’une démarche scientifique sérieuse.

Question qui peut paraître grossièrement rhétorique, mais à laquelle la réponse ne semble pas évidente aux jumeaux Bogdanoff. En tout cas, leur récente interview par Le Figaro semble l’attester. Cette interview méritant d’être interrogée, je vous propose de le faire, vu d’ici.

On me pardonnera la longueur inhabituelle de cet article, mais dans cette affaire il convient de prendre soin de bien exposer les différents éléments. Comme il sera question du Big bang, je vous invite d’ailleurs à consulter l’article que je lui ai consacré.

Pour tout dire, ces deux jumeaux ne m’intéressent guère (le propos de cet article est surtout le mésusage de la science), mon expérience ne porte donc pas sur un échantillon très significatif. Cependant, dans la mesure où je peux raisonnablement considérer que ce journal (au demeurant confidentiel) n’est pas lu que par des Français et qu’il me semble que la notoriété des Bogdanoff ne dépasse pas les frontières de l’hexagone, il est préférable que je commence par les présenter.

De quelle planète viennent les Bogdanoff ?

Grégoire et Igor Bogdanoff ont commencé à faire parler d’eux en 1976 en publiant un essai de bonne tenu sur la science-fiction : Clefs pour la science-fiction1Grégoire et Igor Bogdanoff, 1976. Clefs pour la science-fiction, Seghers.. Ceci les a conduit à présenter différentes émissions d’anthologie de la science-fiction à la télévision, parmi lesquelles Temps X. Dans ces émissions, ils ont rapidement intégré un peu de vulgarisation scientifique ; après tout, la science-fiction est un bon point d’entrée pour de la vulgarisation.

Jusque-là, à part que l’on pouvait regretter un vrai manque de rigueur dans la vulgarisation et éventuellement qu’ils s’attardaient trop sur la science-fiction clinquante, il n’y avait pas de quoi s’alarmer.

Cependant, les jumeaux de se construire des personnages d’extra-terrestres supérieurement intelligents et disposant de la science infuse. Ce qui les a conduit à une série d’affirmations fantaisistes.

Une de ces affirmations les plus récentes et pour laquelle les connaissances techniques nécessaires à sa compréhension sont aujourd’hui assez répandues a eu lieu pendant les Utopiales de Nantes en 2006. À cette occasion, ils ont indiqués avoir émis l’hypothèse d’un réseau informatique global (c’est-à-dire Internet) dès 1979, qu’ils ont nommé Internex2Thomas Michaud, 2008. Télécommunications et science-fiction, Marsisme.com., raillant au passage le président du Centre national d’études des télécommunications (CNET) de l’époque. Il est toutefois très aisé de constater que la RFC 675, spécifiant le protocole TCP à la base d’Internet, est intitulée SPECIFICATION OF INTERNET TRANSMISSION CONTROL PROGRAM et a été publiée en 1974. Également, même si les relations étaient houleuses, le CNET était partie prenante du réseau Cyclades, l’un des ancêtres d’Internet. Une interconnexion mondiale de réseaux informatiques était en cours de mise en place et le nom Internet déjà en utilisation lorsque les frères Bogdanoff en prédisaient l’existence prochaine. En littérature, on trouve déjà une préfiguration d’Internet dans le roman The Shockwave Rider de John Brunner publié en 1975 (son titre français est Sur l’Onde de choc)3John Brunner, 1975. The Shockwave Rider, Harper & Row. S’il est parfaitement compréhensible qu’ils se soient un peu trompé sur le nom d’une technologie alors récente, cela met à mal leur prétention d’être précurseurs – les prédictions après coup sont celles qui ont le plus de chances de se révéler correctes.

Entre autre exemple, comme le faisait remarquer le numéro d’octobre 2004 de la revue Ciel et espace, ils ont affirmé dans leur livre Avant le Big bang4Grégoire et Igor Bogdanoff, 2004. Avant le Big bang, Grasset – truffé d’erreurs mathématiques et physiques, comme le journaliste le relève – que :

« Il n’y a “rien d’étonnant à ce que notre Soleil [il y a plus de 4 milliards d’années] paraisse si gros et si brillant dans le ciel” puisque l’Univers était alors “deux fois plus petit”. »

Ce qui est aberrant puisque l’expansion de l’Univers n’affecte pas le système solaire. Évidemment, les connaissances permettant de s’en rendre compte ne sont pas très répandues (mais il suffit de lire ma présentation du Big bang pour le savoir). Toujours est-il que cela mets fortement à mal leur velléité d’avoir percé l’origine de l’Univers et d’avoir réussi « là où tant d’autres ont échoué ».

J’aurais pu démultiplier les exemples en une longue liste en définitive indigeste, car les deux jumeaux usent systématiquement d’approximations, d’erreurs grossières et de formulations qui perdent le lecteur ou l’auditeur plutôt que de donner une vision claire du sujet dont il est question. Par ailleurs, comme le faisait remarquer Alain Connes, dont les travaux en mathématiques ont notamment permis des avancées significatives en cosmologie, dans Le Monde daté du 19 décembre 2002 :

« Je n’ai pas le moindre doute sur mon jugement et il ne m’a pas fallu longtemps pour m’assurer qu’ils parlent de choses qu’ils ne maîtrisent pas. »

Encore une fois, si tout cela était resté dans le cadre d’un travail d’anthologie concernant la science-fiction, tout en ne laissant aucun doute que les personnages qu’ils s’inventaient n’avaient rien de réel, il n’y aurait pas de motif d’inquiétude. Sauf que leur prétendues capacités sont bien vite devenues des arguments de vente de spéculations à prétentions de vulgarisation, voir scientifiques. Ainsi, par exemple, lorsque parait Dieu et la science en 19915Jean Guitton, Grégoire Bogdanoff et Igor Bogdanoff, 1991. Dieu et la science, Grasset. – une série d’entretiens avec le philosophe Jean Guitton –, la quatrième de couverture les crédite comme docteurs en astrophysique et physique théorique, alors qu’ils n’avaient à l’époque jamais soutenus la moindre thèse.

Les deux frères justifient cette erreur par le fait que, au moment de la publication du livre, ils étaient en voie d’inscription en thèse, ce qui aurait porté à confusion. Pourtant, dans une interview donné à Paris match en 1985, ils avaient déjà affirmé être titulaire de doctorats

Cependant, les Bogdanoff s’inscrivent bien en thèse de physique théorique en 1991. La partie physique étant jugée trop faible, en 1999 Grégoire Bogdanoff soutient finalement une thèse de mathématiques. Igor Bogdanoff, « qui allait droit à l’abattoir », voit sa soutenance ajournée. Pour pouvoir soutenir, il lui est d’abord demandé de publier dans des revues scientifiques à comité de relecture. Les conditions sont réunies en 2002, lui permettant d’obtenir un doctorat de physique théorique. Les deux frères s’en vont alors retrouver les plateaux de télévisions en animant l’émission Rayons X sur France 2.

C’est à peu près à cette période que des spécialistes de la cosmologie, alerté par le contenu des articles des deux frères qui leur apparait saugrenu, se demandent s’ils n’ont pas affaire à un canular. Devant les protestations de bonne foi de la part des jumeaux et suite à l’analyse des articles, il ressortira que s’il ne s’agit pas de canular, la contribution scientifique des Bogdanoff est un non-sens sans intérêt.

Soyons sans équivoque : il n’y a pas de controverse scientifique. Pour les spécialistes de la discipline, les choses sont très claires.

En 2003, l’Université de Bourgogne et le CNRS ont diligenté un rapport pour évaluer la procédure par laquelle les jumeaux ont obtenu leurs thèses. Ce rapport, qui sera publié en 2010 par l’hebdomadaire Marianne, conclu à l’absence d’intérêt scientifique des travaux des deux frères, ainsi qu’à un dysfonctionnement dans le processus d’évaluation et d’attribution de leurs thèses. La publication de ce rapport par Marianne les a conduits à porter plainte contre l’hebdomadaire ainsi que le CNRS. Ceci a conduit à la condamnation du magazine car le tribunal a jugé que le contenu des articles relevait plus d’attaques personnelles que d’une remise en cause de la validité de leur travail scientifique. En revanche, ils ont été débouté dans leur action contre le CNRS (il en sera question plus bas). Ils ont manifesté leur intention d’interjeter appel.

Dans ces pages, il n’est question des frères Bogdanoff qu’en tant que personnages publics, pas de leur intimité. Il est très clair que ces personnages publics ne sont désormais qu’une fiction, sans rien de réel. Une fiction dont ils semblent s’être persuadés eux-mêmes : comme s’ils étaient devenus ce que Jean Baudrillard appelait des simulacres. Ainsi que le théorisait ce dernier, il y a eut une précession des simulacres, c’est-à-dire que les simulacres se sont mis à précéder les véritables identités des individus, jusqu’à qu’elles soient dissoutes et n’existent plus.

D’où parles-tu camarade ?

Voilà pour le contexte nécessaire à comprendre l’analyse de l’interview que je propose plus bas. Cependant, dans la mesure où il porte sur un sujet sensible, il convient pour ma part de procéder à une déclaration d’intérêt. Le propos n’étant certainement pas d’impressionner ; si je dois vous convaincre, j’entends le faire par la qualité de mes sources et par les raisonnements exposés. Toutes les informations présentées ici (et bien d’autres) peuvent être trouvées dans mon CV.

Comme il est question du CNRS, signalons que dans le cadre de mon travail de thèse, de 2007 à 2010, j’étais salarié par cette institution. Au moment où je rédige ces lignes, je n’ai plus de lien direct avec cet organisme. Bien entendu, on pourra toujours trouver des liens indirects. Par exemple, mon directeur de thèse est toujours chargé de recherche au CNRS. Au vu du système français de la recherche publique, tant qu’il n’aura pas été totalement mis à bas, il est extrêmement rare de ne pas trouver une personne impliquée dans la recherche française qui n’ait pas au moins un lien indirect avec le CNRS. Par ailleurs, il n’est pas impossible que je sois à l’avenir de nouveau en relation direct avec cet organisme.

Puisqu’il sera question également de Georges Lemaître, signalons que, de 2013 à 2015, j’ai été assistant de recherche à l’Université catholique de Louvain, où lui-même a enseigné – certes, avant que l’université ne soit séparée en deux entités, l’une flamanophone et l’autre francophone.

Enfin, même si ça ne change rien mais comme je pense que la question va se poser, mon domaine de spécialité n’est effectivement pas la cosmologie. Pendant mes études, je me suis intéressé aux mathématiques appliquées et à l’informatique théorique et depuis ma thèse mon champ d’application est l’océanographie physique. Concrètement, je reproduis sur ordinateur le fonctionnement des océans. Raison pour laquelle, concernant le jugement des travaux scientifique des frères Bogdanoff, je me suis référé aux avis de spécialistes de la question.

Cette mise en contexte est suffisamment longue, penchons-nous donc sur l’interview. Elle est assez courte et je ne vais pas la recopier dans son intégralité, je vous invite donc à la consulter.

De l’intérêt du débat non contradictoire

Dans cette interview, les frères Bogdanoff font plusieurs affirmations assez définitives. Ces affirmations ne sont jamais questionnées. Pourtant, elles valent la peine d’être soumises à un examen critique.

Dès la première question, Igor Bogdanoff déclare :

« On nous reproche d'avoir été les premiers à explorer un domaine qui ne l’avait jamais été jusqu’alors : l’avant Big bang. Cette recherche était interdite – le fond de l’affaire est là. »

Cette première affirmation est fausse. Par exemple, dès 1933, Georges Lemaître propose la théorie de l’Univers phénix, où l’univers en expansion, à partir du Big bang, est précédée par un univers en contraction, qui finit par s’effondrer sur lui-même (ce qui sera appelé plus tard Big crunch en lien avec le Big bang), qui devient la source du Big bang6Georges Lemaitre, 1933. « L’univers en expansion », Annales de la société scientifique de Bruxelles, vol. 53, p. 51.. On en arrive à un modèle cyclique car, après l’expansion, l’Univers se contracte de nouveau pour s’effondrer, relançant le cycle. Même si Georges Lemaître rejette en définitive cette hypothèse, il s’agit bien d’un modèle pré-Big bang qui a été étudié avant même que les frères jumeaux ne soient nés.

Notons d’ailleurs qu’à l’époque où les deux frères achevaient leurs thèses, d’autres publiaient par exemple sur l’Univers ekpyrotique7Justin Khoury, Burt A. Ovrut, Paul J. Steinhardt et Neil Turok, 2001. « The Ekpyrotic Universe: Colliding Branes and the Origin of the Hot Big Bang », Physical Review D 64 (12)., une théorie se basant sur celle des cordes, où l’Univers a déjà connu plusieurs Big bang.

Igor Bogdanoff affirme également :

« La communauté scientifique n’a pas toléré que deux producteurs d’émissions télévisées puissent découvrir des choses importantes sur l’évolution de l’Univers. »

Encore une fois, cette affirmation est fausse. Comme je l’ai indiqué dans la présentation de leur parcours, la communauté scientifique s’est interrogée sur la contribution des Bogdanoff et en a conclu qu’il s’agissait d’un non-sens sans intérêt. En revanche, il est vrai qu’il leur est reproché de refuser l’analyse critique de leur travail. Nous allons y revenir.

Grégoire Bogdanoff déclare :

« Cette histoire de million d’euros est complètement fantaisiste. Le blog du journal Libération le dit, mais nous n’avons jamais demandé cette somme. La situation est beaucoup plus simple : nous avons évalué le préjudice à 60 000 euros. »

Que le journaliste ne connaisse ni Georges Lemaître, ni le Big bang, c’est regrettable, mais compréhensible. En revanche, il est anormal qu’il n’ait pas lu le jugement concernant la plainte des deux frères. À la page trois, il y est indiqué :

« […] MM. Igor et Grégoire Bogdanoff, représentés par Me Lapisardi puis par Me de Froment, demandent au tribunal :

1°) de condamner le CNRS à leur verser la somme globale de 1 239 771 euros en réparation des préjudices qu’ils estiment avoir subis […] »

Si le journaliste a bien lu le jugement, il est alors anormal qu’il n’ait pas fait remarquer aux Bogdanoff que le texte du jugement confirme les dires du journaliste de Libération.

Grégoire Bogdanoff ajoute :

« Le blog ose dire que nous avons été condamnés à verser 2 000 euros. Et les médias relaient l’information. Mais c’est absolument faux. Nous sommes demandeurs. Un demandeur ne peut pas être condamné. Il peut être éventuellement débouté ou rejeté, comme c’est le cas ici. Nous n’avons jamais été condamnés. Dans le jugement, il y a juste écrit : “MM Igor et Grichka Bogdanov verseront…” L’idée de condamnation nous fait apparaître comme des gens soumis à une procédure, alors que nous l’avons actionnée. »

En bas de la page 8 du jugement, il est effectivement indiqué ceci :

« Article 2 : MM. Igor et Grégoire Bogdanoff verseront au CNRS la somme totale de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. »

Déjà, cela confirme le montant de 2 000 euros. Par ailleurs, je ne suis pas un spécialiste des questions juridiques, mais cela ressemble tout de même à une condamnation. Je vais demander à maître Eolas si le terme « condamnation » est approprié. S’il trouve le temps de répondre, je mettrais à jour ce billet.

Igor Bogdanoff nous gratifie alors de la diatribe suivante :

« L’attitude du CNRS est depuis le début une attitude profondément déloyale. Ceux qui ont été à l’origine de ce rapport n’ont pas de courage, pas de moral, et pas de compétences. Quand on reproche quelque chose à quelqu’un, on l’affronte à visage découvert, et pas à travers un rapport anonyme et clandestin dont nous avons découvert l’existence dans Marianne. Ce rapport ne nous a jamais été présenté. »

Cependant, l’établissement de ce rapport relève d’une évaluation parfaitement légitime et nécessaire d’un travail scientifique. Par ailleurs, si l’on devait demander à quelqu’un la permission pour le contredire, cela mettrait à mal la possibilité d’exercer son esprit critique…

Expliquons donc un peu ce qu’est le travail de chercheur.

Parmi les activités du chercheur, une part importante est de publier son travail. Cela peut prendre la forme de rapports, de thèses, de séminaires, mais généralement de communications (posters et présentations) en conférences ou d’articles publiés dans des revues à comités de relectures. Même si ce n’est pas le sujet, signalons que les conférences et revues à comités de relectures s’adressent aux spécialistes d’une discipline et qu’une contribution est soumise à une analyse d’autres spécialistes avant d’être acceptée.

Une fois ces travaux publiés, alors les autres chercheurs se penchent dessus et les évaluent. Ce qui amène à émettre un avis critique – pour rappel, une critique n’est pas forcément négative – sur le travail présenté. Si l’on juge que ça a suffisamment d’importance, cet avis peut être publié, sous la forme de rapport ou d’article, par exemple.

Tout chercheur fait ce travail régulièrement. Je l’ai fait, plusieurs fois, y compris au sujet de mémoires de master. C’est une démarche qui est intrinsèque à la recherche scientifique. Si les frères Bogdanoff désirent réellement réaliser un travail scientifique ou plus généralement un travail intellectuel, il faut qu’ils acceptent que l’on puisse exercer un examen critique de leurs contributions.

Que l’université de Bourgogne et le CNRS aient diligenté une étude sur la validité des travaux de thèses des deux jumeaux est donc un processus parfaitement normal et sain dans le cadre de la recherche scientifique. Voilà pour le fond. La forme du rapport est certes inhabituelle, mais même pas exceptionnelle : il arrive que ces institutions réalisent de tels rapports quand des doutes existent sur un travail produit en leur sein.

Si le rapport avait préconisé la déchéance des frères Bogdanoff du titre de docteur, alors seulement y aurait-il eut quelque chose d’anormal. Cependant, comme l’indique clairement le jugement au point 3 de la page 5, le rapport ne le fait pas.

Notons également qu’Igor Bogdanoff se livre à une attaque en compétence du CNRS, qui est complétée par :

« Il est bourré d’erreurs et se fonde sur une mauvaise version de notre thèse datant de 1999. Les arguments avancés par le rapport sont complètement fantaisistes. »

C’est un élément récurrent : chaque fois que quelqu’un émet la moindre réserve sur les deux frères, alors ils l’accusent d’incompétence et de les jalouser, comme ils l’ont fait au sujet du titulaire du prix Nobel de physique Georges Charpak. D’ailleurs, l’aspect confidentiel de ce site m’en préserve sans doute, mais si par extraordinaire ils devaient en avoir vent, je serais probablement taxé d’incompétence et de jalousie à mon tour.

On pourra rétorquer qu’en définitive, ils répondent à une accusation d’incompétence par une accusation d’incompétence. Cependant, remarquons qu’ils n’étayent pas leur accusation. En revanche, l’analyse scientifique de leurs affirmations a été réalisée, par exemple par Alain Riazuelo. Y-ont-ils répondu par une réfutation, comme c’est le cas dans un débat scientifique ? Non, ils l’attaquèrent en justice pour violation du droit d’auteur, indiquant même dans Le Monde qu’ils n’avaient pas d’autre moyen de le faire taire.

Bien entendu, j’ai pu rater quelque-chose. Cela dit, je n’ai trouvé nulle part ne serait-ce que la mention d’une réponse scientifique de la part des frères Bogdanoff aux critiques scientifiques qui leur sont faites.

Grégoire Bogdanoff fini par déclarer :

« Ce pseudo-jugement sur un pseudo-rapport est dangereux pour tous les chercheurs et tous les étudiants. Si l’on considère qu’il est normal d’écrire un rapport mandaté et non signé, tous les chercheurs seront menacés. »

Il s’agit clairement d’une tentative de se donner le beau rôle, celui des redresseurs de torts qui se soucient d’abord du sort des autres – malheureusement, l’énorme montant qu’ils demandent met à mal l’idée qu’ils soient désintéressés. Rappelons simplement, comme je l’ai déjà indiqué plus haut, que l’évaluation des travaux est la base d’une bonne démarche scientifique et d’enseignement. Ce qui est effectivement dangereux, « pour tous les chercheurs et tous les étudiants », c’est que l’on puisse attaquer en justice des scientifiques au motif qu’ils ont exercé ce devoir d’évaluation.

Enfin, la conclusion de l’interview revient à Igor Bogdanoff :

« Nous lançons – tranquillement – un défi à la communauté scientifique : contester nos idées, ouvertement. »

Cela a été largement fait, y compris en dehors de la France, comme le montre les très nombreux liens qui jalonnent cet article. Cependant, encore une fois, je n’ai pas trouvé de réponse scientifique de la part des jumeaux à la contestation scientifique qui leur a été opposée. En revanche, leur propension à utiliser l’arme judiciaire fait douter de la sincérité de cette déclaration.

Qu’il me soit permit à mon tour de lancer – tranquillement – un défi aux frères Bogdanoff. La recherche scientifique ne se fait pas sur les plateaux de télévisions, quelles que soient leurs qualités par ailleurs : s’ils pensent réellement avoir quelques idées scientifiquement valables, qu’ils publient dans des revues à comité de relecture et qu’ils participent à des conférences de spécialistes.

Cependant, il y a une vie au-delà des Bogdanoff

Cet article est long, c’est vrai. Cependant, il est très loin d’être exhaustif concernant les éléments où les frères Bogdanoff n’apparaissent vraiment pas à leur avantage. Je me suis arrêté d’une part pour ne pas donner l’impression de m’acharner sur eux. D’autre part en raison du temps que ça prend de se renseigner sur toutes leurs facéties.

Les deux jumeaux n’étaient pas un sujet pour moi, je les voyais du même œil que mes collègues, à savoir comme un motif de railleries, certainement pas comme des scientifiques. J’avais eu de premières raisons d’inquiétude en 2012, lorsqu’ils sont parvenus à faire condamner Alain Riazuelo. En ayant vent de l’interview du Figaro, je me suis dit qu’il serait utile, puisque le journaliste s’en est dispensé, de soumettre les déclarations des deux jumeaux à l’épreuve des faits.

Je me suis alors rendu compte que le problème était bien plus profond que je ne l’imaginais. Les deux frères veulent tellement poser en tant que scientifiques qui auraient percé les mystères les plus profonds de l’Univers, ainsi qu’en tant que vulgarisateurs qui pourraient tout expliquer, ceci sans en avoir les moyens tout en affichant la certitude de leur supériorité et avec une telle mauvaise foi que, n’était leur propension à l’intimidation et à user du judiciaire, ils n’en seraient que pathétiques.

Cela dit, ils ont tout de même agit comme révélateurs de bien des dysfonctionnements. Tout d’abord, ils sont parvenus a passer dans les failles du système de publication scientifique – à ce sujet, l’Acrimed a publié une enquête en deux parties très complète sur le sujet (et un article qui lui fait suite) –, ainsi que dans le système d’attribution des thèses. Ceci doit sans doute mener le milieu scientifique à l’auto-critique.

Ils sont également révélateurs de la place de la science dans les médias généralistes, tout à fait paradoxale. D’un côté, on n’hésite pas à se réclamer de la caution scientifique, on demande à la science d’inventer une société sans risque et même de prévoir les crimes avant qu’ils n’aient lieu. De l’autre, elle fait l’objet de bien peu de cas. Si l’on regarde le cas des deux jumeaux, quand bien même leur manque de crédibilité scientifique et de vulgarisateur est de notoriété publique, ils bénéficient encore d’une réelle complaisance. Je ne voudrais pas donner l’impression de distribuer bons et mauvais points, mais il est intéressant de regarder un peu comment différents médias traitent des deux jumeaux. Il n’est pas question de produire des articles qui leurs soient favorables ou défavorable, mais de vérifier les faits. Si Le Monde et Sylvestre Huet de Libération (en dépit d’un côté moralisateur un peu agaçant) font généralement un bon travail, il y a de quoi être surpris à voir l’absence de travail journalistique sur le sujet de la part du Figaro et, ce qui est terrible, c’est qu’on n’est même pas surpris que Paris match en fasse autant. Quant aux radios et aux télévisions, elles sont tout à fait consternantes sur le sujet : peu importe l’absence de validité de leurs propos et le fait que les formulations soient pompeuses et trompeuses, l’important est qu’ils présentent bien.

Ils ont également joué le rôle de catalyseur d’une attitude étonnante. En effet, pour donner corps à leur plainte, les frères Bogdanoff ont ajouté au dossier des attestations émanant de l’ancien directeur de la publication de Marianne et de son actuel directeur général, donnant des informations sur la source par laquelle ils ont obtenus une copie du rapport du CNRS. Ceci procède d’une curieuse conception de la protection du secret des sources journalistiques.

Le directeur général de Marianne a déclaré avoir été déçu par l’attitude du CNRS, qui, après la condamnation, « ne nous a pas même adressé un message de sympathie ». Remarquons, comme indiqué pages 3 et 5 du jugement, que le CNRS n’a pas porté plainte contre Marianne, comme il en avait la possibilité. D’ailleurs, les frères Bogdanoff tentent d’utiliser cette absence de plainte comme preuve de la volonté occulte du CNRS de publier le rapport.

Je n’ai jamais été devant un tribunal, mais lorsqu’on est sous le coup d’une procédure, comme c’était alors (et est toujours) le cas pour le CNRS, il me semble que la bonne attitude est de s’exprimer le moins possible sur le sujet. Par ailleurs, si l’on me permet d’émettre une hypothèse un peu audacieuse, dans la mesure où le jugement a considéré que Marianne s’était plus livré à des attaques personnelles qu’à une critique de la valeur scientifique des travaux des deux frères, peut-être le CNRS ne souhaite-t-il pas être associé à un acte de diffamation. Quand bien même, que le CNRS n’ait pas l’heur de plaire à Marianne, cela ne peut en aucune manière justifier une entorse à l’éthique.

La présentation des sciences dans les médias généralistes est souvent biaisée. Le rôle des journalistes est sans doute à mettre en question, mais sans doute également les scientifiques négligent-ils trop de communiquer avec le public. Par exemple, moi qui ai commencé récemment ce journal, je n’ai toujours pas fait de présentation de mon travail, alors que je l’ai prévu. Il est sans doute important de ne pas laisser un vide béant, que d’aucuns à l’ego hypertrophiés vont utiliser pour briller par défaut.

Ah ! Si vous aviez un doute, la réponse à la question posée en titre de cet article est : « non ».

Notes

Notes
1 Grégoire et Igor Bogdanoff, 1976. Clefs pour la science-fiction, Seghers.
2 Thomas Michaud, 2008. Télécommunications et science-fiction, Marsisme.com.
3 John Brunner, 1975. The Shockwave Rider, Harper & Row
4 Grégoire et Igor Bogdanoff, 2004. Avant le Big bang, Grasset
5 Jean Guitton, Grégoire Bogdanoff et Igor Bogdanoff, 1991. Dieu et la science, Grasset.
6 Georges Lemaitre, 1933. « L’univers en expansion », Annales de la société scientifique de Bruxelles, vol. 53, p. 51.
7 Justin Khoury, Burt A. Ovrut, Paul J. Steinhardt et Neil Turok, 2001. « The Ekpyrotic Universe: Colliding Branes and the Origin of the Hot Big Bang », Physical Review D 64 (12).

Publié par

Yoann Le Bars

Un enseignant-chercheur avec un peu trop de centres d’intérêts pour pouvoir résumer…

Une réflexion sur « Si les frères Bogdanoff étaient en orbite, cela aurait-il une influence sur Pluton ? »

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