Le Loup pourrait-il être un homme pour l’Homme (et réciproquement) ?

Loups gris communs
Loups gris communs au zoo de Worms (Allemagne) – par 4028mdk09, sous contrat CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons.

Si l’élevage et l’agriculture ont en définitive permis l’accroissement de l’espérance de vie de l’espèce humaine, dans un premier temps (c’est-à-dire tout de même au court des premières centaines d’années d’expérimentations) ces pratiques pouvaient au contraire sembler néfastes : l’agriculture et l’élevage sédentaires induisaient un rythme de vie plus fatiguant que celui du chasseur-cueilleur et la proximité des cultures et des élevages favorisait l’émergence et la propagation de maladies. Une question se pose alors : comment se fait-il que nos ancêtres se sont entêtés dans cette voie ?

Dans le numéro 498 de la revue La Recherche, datée d’avril 2015, Pierre Jouventin, ancien directeur de recherche en éthologie au CNRS, propose une hypothèse intéressante qui, de manière un peu indirecte, pourrait bien donner une explication à cette énigme1Pierre Jouventin, 2015. « L’Évolution de l’homme sur la piste du loup », La Recherche, 498, pp. 60 – 65..

C’est vers − 11 000 qu’ont débutées les premières cultures – dans un premier temps, essentiellement des céréales. Vers − 9 000, c’est la domestication d’espèces telles que la chèvre, le mouton, le cochon, le bœuf ou le chat.

Dans un premier temps, on a pensé que le loup avait été domestiqué à peu près à la même période.

Ah ! Oui, une précision s’impose : l’état actuel de la recherche montre que toutes les races de chiens descendent de la même lignée, qui s’est séparée du loup sous l’influence de l’Homme. L’élevage sélectif réalisé par l’être humain les a transformé selon les besoins, amenant à la diversité que l’on connaît. Non seulement le chien existe du fait de l’action de l’Homme, qui a domestiqué le loup, mais de plus cette action humaine a provoqué une forte diversité en partant d’une seule espèce de loup.

Or, l’on pensait que le loup avait été domestiqué pour devenir le chien à peu près en même temps que les espèces mentionnées précédemment, pour répondre au besoin de gardiennage des troupeaux. Donc que le chien était apparu après − 10 000. Cependant, les progrès de la paléontologie font désormais dater l’apparition du chien vers − 36 000. Plus de 25 000 ans plus tôt que toute autre espèce domestique.

L’hypothèse de Pierre Jouventin, étayée par les éléments de la recherche actuelle, est qu’homo sapiens, c’est-à-dire notre espèce, aurait collaboré avec, puis domestiqué, le loup dans le cadre de son activité de chasse. C’est ainsi qu’il aurait obtenu un avantage concurrentiel avec l’homme de Neandertal, alors présent en Europe et plus robuste, mais surtout plus adapté à cet environnement particulier – homo sapiens étant une espèce exogène certes capable de vivre dans de nombreux milieux, mais de fait spécialisée pour aucun d’entre eux. Grâce au loup, puis au chien, sa concurrence est devenue particulièrement efficace dans les activités de chasse. Ceci est peut-être une des causes de la disparition des néandertaliens d’Europe vers − 30 000.

Entendons-nous bien : cela ne signifie nullement qu’homo sapiens a rejeté les néandertaliens hors d’Europe, ni qu’il les a massacrés. Cela signifie que l’arrivée d’homo sapiens, puis la domestication du loup pour en faire le chien, a modifié l’écosystème. Par ce changement dans l’écosystème, homo sapiens a alors obtenu un avantage évolutif, c’est-à-dire que sa descendance s’est avéré plus prospère que celle des néandertaliens. Ce pourrait être l’une des causes de la disparition de l’homme de Neandertal.

Cependant, la coopération, en quelque sorte, semble avoir été trop fructueuse : à force d’efficacité, il semble bien que cette coopération entre hommes et loups ait provoqué quelques déséquilibres, de sorte qu’il fallait voyager plus pour pouvoir chasser un gibier qui se raréfiait. Ceci mettait en difficulté le mode d’existence de chasseur-cueilleur. En réaction, vers − 11 000, d’abord aux environs de la Mésopotamie, l’homme s’est lancé dans l’agriculture, puis l’élevage. Le chien, de son côté, de chasseur est devenu chien de berger, aidant à garder les troupeaux.

Ainsi, l’Homme a-t-il été à l’origine de l’évolution du loup vers le chien, lequel chien aurait à son tour eut un impact sur l’évolution de l’Homme. Chaque partie d’un écosystème a un effet sur les autres parties, qui ont une influence en retour sur cette première partie. L’écosystème est le résultat de l’équilibre qui s’instaure entre chacune de ses parties – l’Homme ne fait pas exception.

Cela dit, il ne faut pas oublier que d’autres éléments ont été à l’origine de l’extraordinaire triomphe de l’agriculture et de l’élevage. Notamment l’étonnante stabilité climatique que nous avons connus pendant environ 10 000 ans, stabilité qui est actuellement remise en question.

Mais faite moi confiance : de climat, il sera prochainement question dans ce journal et, vu d’ici, il y a beaucoup à dire…

Notes

Notes
1 Pierre Jouventin, 2015. « L’Évolution de l’homme sur la piste du loup », La Recherche, 498, pp. 60 – 65.

Publié par

Yoann Le Bars

Un enseignant-chercheur avec un peu trop de centres d’intérêts pour pouvoir résumer…

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