Est-ce parce qu’il touche à l’origine des choses ? En tout cas, le Big bang est un sujet scientifique dont tout le monde semble avoir entendu parler. Cependant, il apparaît que généralement les idées ne sont pas très claires à son propos.
Justement, dans les sujets que je vais aborder prochainement sur ce site, il en sera question. Voici donc pour moi l’occasion d’inaugurer les articles de vulgarisation de ce journal : je vous propose d’aborder la question du Big bang, en l’illustrant d’expériences simples que chacun pourra réaliser.
Le terme Big bang – littéralement, « grand boum » – a été introduit en 1950 par le cosmologiste et astronome britannique Fred Hoyle au cours d’une émission de radio de la BBC intitulée The Nature of Things. En passant, il utilisa ce terme dans un sens ironique dans la mesure où, au moins à cette époque, il ne considérait pas que cette théorie fût fondée. L’expression devait néanmoins faire mouche, à telle point qu’elle est largement utilisée désormais.
Elle porte cependant à confusion car elle laisse accroire que le Big bang serait un évènement explosif et ponctuel, c’est-à-dire localisé, tant dans le temps que dans l’espace. Ce qu’il n’est pas…
Oui, j’ai utilisé le verbe « accroire » (faire croire en ce qui n’est pas), car en plus des bases de la cosmologie, j’entends que vous disposiez du vocabulaire pour briller au cours des conversations sans fond des dîners sans fin !
La théorie du Big bang s’établit dans le cadre de la relativité générale, dont Albert Einstein est le principal fondateur1Albert Einstein, 1916. « Die Grundlage der allgemeinen Relativitätstheorie », Annalen der Physik, 49, pp. 769 – 822.. Si le présent article suscite des commentaires suffisamment enthousiastes, je présenterais plus en détails cette théorie, mais je vais déjà essayer de donner assez d’éléments pour comprendre ce qui va suivre.
Dès 1905, en introduisant la théorie de la relativité restreinte2Albert Einstein, 1905. « Zur Elektrodynamik bewegter Körper », Annalen der Physik, 17, pp. 891 – 921., Albert Einstein constate que la notion de temps est relative. C’est-à-dire que chacun (chaque observateur) a son temps propre qui, s’il ne varie pas pour ledit observateur, n’est pas nécessairement synchronisé avec celui des autres observateurs. Au plus un individu donné se déplace rapidement par rapport à un observateur extérieur, au plus, du point de vue de l’observateur extérieur, son temps propre semble se dilater : tandis que pour l’observateur extérieur une seconde s’écoule, moins d’une seconde s’écoule pour l’individu en mouvement. Du point de vue de l’individu en mouvement, en revanche, son temps propre n’a pas changé : s’il vous faut 2 heures, 27 minutes et 43 secondes pour lire mon galimatias, vous aurez beau courir aussi vite que vous le pourrez, ce temps ne changera pas ! De toute façon, pour que la désynchronisation des temps propres soient véritablement sensible, il faut des vitesses bien supérieures à celles auxquelles nous sommes habitués : elle affecte à peine les astronautes par rapport à ceux qui restent sur Terre. Globalement, pour que son influence soit véritablement sensible, il faut se situer à l’échelle stellaire.
Pour ne pas se perdre, je n’expliciterais pas les raisons de cette désynchronisation dans ce billet. Si vous voulez plus de détails, encore une fois faites-le-moi savoir dans les commentaires, je ferais un article sur le sujet. En attendant, je dois vous demander d’admettre ces effets relativistes.
Si un mouvement a un effet sur la désynchronisation des temps propres, cela signifie qu’un phénomène spatial (un déplacement) a un effet sur un phénomène temporel. Ce qui conduit à considérer l’espace et le temps comme deux notions inséparables et s’influençant l’une l’autre, de sorte que l’on introduit la notion d’espace-temps : au lieu d’un espace tridimensionnel et d’un temps unidimensionnel, nous avons la notion unifiée d’espace-temps quadridimensionnel. Selon la théorie de la relativité générale, cet espace-temps est sous l’influence de la gravitation, qui le déforme – donc, vous avez suivi, le temps est lui aussi soumis à l’influence de la gravitation. On le représente souvent avec un très joli dessin en 3D, mais je trouve plus marquant d’utiliser une petite expérience que l’on peut aisément reproduire chez soi, en tendant un tissu quelconque (prenez le pas trop fragile), qui représentera l’espace temps :
En y plaçant un objet pesant quelconque – choisissez le suffisamment pesant pour bien voir la déformation, mais pas trop non plus, afin que vous ne lâchiez pas votre tissu, ni ne le déchiriez –, vous allez déformer votre représentation de l’espace-temps. Cette déformation est d’autant plus forte que la masse de l’objet est importante – vous pouvez essayer avec divers objets, même remarque qu’au début de ce paragraphe :
C’est un phénomène analogue qui déforme l’espace-temps.
En introduisant un nouvel objet – choisissez le moins pesant que le premier et relativement rond, la démonstration sera plus claire – ce dernier va alors suivre la déformation du tissu (donc de l’espace-temps) et se rapprocher du premier objet : tout se passe comme si une force (la gravitation) l’avait attiré vers le premier objet. Au passage, le deuxième objet déforme lui aussi le tissu – c’est-à-dire l’espace-temps, vous avez bien suivi ! C’est ainsi que la relativité générale décrit la gravitation :
Dès 19223Alexandre Friedmann, 1922. « Über die Krümmung des Raumes », Zeitschrift für Physik, 10 (1), pp. 377 – 386., Alexandre Friedmann, se penchant sur les équations de la relativité générale, propose comme solution au fait que l’Univers ne se soit pas effondré sous l’effet de la gravitation qu’il serait non pas statique, comme on le pensait généralement à l’époque, mais en expansion. Ceci implique dès lors une singularité initiale, c’est-à-dire concrètement ce que l’on nomme désormais le Big bang. En 1927, Georges Lemaître décrit dans les grandes lignes cette expansion4Georges Lemaître, 1927. « Un Univers homogène de masse constante et de rayon croissant rendant compte de la vitesse radiale des nébuleuses extra-galactiques », Annales de la société scientifique de Bruxelles, A47, pp. 49 – 59.. En 1929, Edwin Hubble met en évidence que les galaxies semblent s’éloigner les unes des autres5Edwin Hubble, 1929. « A relation between distance and radial velocity among extra-galactic nebulae », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 15 (3), pp. 168 – 173., ce qui, dans le cadre de la relativité générale, laquelle est par ailleurs très fortement confirmée, atteste de l’expansion de l’Univers.
Cette expansion correspond à une déformation de l’Univers lui-même. Pour le comprendre, livrons-nous de nouveau à quelques expériences très simples. Cette fois-ci, nous allons représenter l’Univers avec un ballon de baudruche. L’expansion de l’Univers correspond à gonfler le ballon :
Il est à noter que cette analogie du ballon présente un vrai défaut : le ballon gonfle dans notre espace, ce que l’on qualifie de phénomène extrinsèque. Au contraire, l’expansion de l’Univers est intrinsèque, c’est-à-dire qu’elle n’a pas lieu dans un milieu qui contiendrait l’Univers, puisque justement le contenant n’est autre que l’Univers – je remercie Jean-Pierre Luminet d’avoir relevé ce problème dans mon exposé.
Si nous traçons des points représentant des galaxies sur le ballon, lorsque nous le gonflons (c’est-à-dire sous l’effet de l’expansion de l’Univers), tandis que l’espace entre les points (c’est-à-dire entre les galaxies) augmente, les galaxies semblent s’éloigner les unes des autres :
Ainsi, l’expansion de l’Univers augmente la distance qui sépare les galaxies entre elles. En conséquence, une vision plus juste de l’expansion de l’Univers serait la suivante :
En revanche, notre système solaire est soumis au champ de gravitation du Soleil, qui le maintient en un ensemble cohérent. Comme indiqué plus haut, ce champ de gravitation provoqué par le Soleil déforme l’espace-temps. Cette déformation l’emporte sur celle de l’expansion, ce qui fait que cette dernière n’a pas d’effet à l’échelle du système solaire. L’expansion affecte la position relative des galaxies et des amas de galaxies entre eux, mais n’influe pas sur la configuration des galaxies elles-mêmes.
Puisque l’Univers n’est pas statique mais en expansion, il a une histoire. L’idée est alors d’utiliser les équations pour déterminer l’état de l’Univers dans le passé, en quelque sorte en passant le film à l’envers. Si l’on passe le film d’un univers en expansion à l’envers, alors il semble se contracter :
À force de remonter le film, on débouche sur un univers extrêmement dense, qui s’est contracté en un point et dont la température est infinie : en termes mathématiques, on parle de singularité et c’est ce que Fred Hoyle a nommé « Big bang ». Quant à la notion de temps, à cette singularité, elle n’a pas réellement de sens.
L’origine de l’Univers aurait-elle été définitivement identifiée ? Pas vraiment, car on ne peut plus parler aujourd’hui du Big bang comme on en parlait en 1950.
La gravitation n’est pas la seule force fondamentale dans l’Univers. En fait, il y en a quatre : la gravitation, donc, mais aussi l’électromagnétisme, l’interaction nucléaire forte et l’interaction nucléaire faible.
La relativité générale est une théorie de la gravitation, elle ne prend pas en compte les trois autres interactions. À la différence de la gravitation, ces trois autres interactions ont une action locale, de sorte que le modèle d’expansion de l’Univers se basant uniquement sur la relativité générale n’est fondé qu’à partir d’un univers dont l’expansion a été suffisante pour que seule la gravitation ait un effet sensible à l’échelle de cette expansion. Avant cela, l’Univers est dans ce que l’on nomme l’ère de Planck (nommée d’après le physicien allemand Max Planck), dont l’Univers est sortie il y a environ 13,82 milliard d’années. Pour la décrire, il faut prendre en compte simultanément les quatre interactions fondamentales. La singularité initiale – obtenue à partir des seules équations de la relativité générale, donc ne prenant en compte que la gravitation –, se situerait quant à elle dans l’ère de Planck.
C’est là où le bas blesse, car l’électromagnétisme et les interactions faible et forte sont le domaine de la mécanique quantique, laquelle est incompatible avec la relativité générale. Donc, pour pouvoir décrire l’Univers à l’ère de Planck, il faut une théorie unificatrice des quatre interactions fondamentales.
Au moment où j’écris ces lignes, il existe trois candidates sérieuses pour devenir cette théorie unificatrice : les théories des cordes – notez le pluriel, car il en existe plusieurs variantes –, la gravitation quantique à boucles et la géométrie non commutative. À l’heure actuelle, aucune n’est totalement achevée et nous ne sommes pas en mesure de déterminer laquelle est la plus appropriée pour décrire l’Univers, ni même si l’une d’entre elles est appropriée…
Cependant, ces théories proposent des éléments permettant de décrire l’ère de Planck et nous invite à reconsidérer le modèle d’une singularité initiale. Par exemple, dans le cadre de la gravité quantique à boucle, elle disparait au profit du passage d’un univers en contraction à un univers en expansion, ainsi que le décris Martin Bojowald dans son livre L’Univers en rebond6Martin Bojowald, 2011. L’Univers en rebond, Albin Michel.. À l’heure actuelle, un faisceau d’éléments remet en cause l’idée d’une singularité initiale, qui serait l’instant créateur de l’Univers.
La culture occidentale véhicule l’idée que l’Univers ait une origine. Avec le Big bang, d’aucuns ont cru tenir la preuve de cette origine, comme le pape Pie XII. Cependant, en toute rigueur, à l’heure actuelle nous ne pouvons rien dire de définitif concernant l’Univers à l’ère de Planck, ni même avant – si toutefois il puisse y avoir un avant. En fait, il n’est pas certain que la question de l’origine ait tout simplement un sens, ni même s’il existe un unique univers.
Ces dernières réflexions, qui vous plongeront peut-être dans quelque abîme de perplexité, clôturent ce que je voulais vous présenter concernant le Big bang. J’espère que cela vous aura intéressé et aidé à avoir les idées plus claires à son sujet. Si cela ne fait pas de vous un spécialiste de la question, au moins devriez-vous être en mesure de détecter lorsque d’aucuns tentent de vous faire prendre des vessies pour des lanternes à son propos.
Notes
↑1 | Albert Einstein, 1916. « Die Grundlage der allgemeinen Relativitätstheorie », Annalen der Physik, 49, pp. 769 – 822. |
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↑2 | Albert Einstein, 1905. « Zur Elektrodynamik bewegter Körper », Annalen der Physik, 17, pp. 891 – 921. |
↑3 | Alexandre Friedmann, 1922. « Über die Krümmung des Raumes », Zeitschrift für Physik, 10 (1), pp. 377 – 386. |
↑4 | Georges Lemaître, 1927. « Un Univers homogène de masse constante et de rayon croissant rendant compte de la vitesse radiale des nébuleuses extra-galactiques », Annales de la société scientifique de Bruxelles, A47, pp. 49 – 59. |
↑5 | Edwin Hubble, 1929. « A relation between distance and radial velocity among extra-galactic nebulae », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 15 (3), pp. 168 – 173. |
↑6 | Martin Bojowald, 2011. L’Univers en rebond, Albin Michel. |
Remarquable exposé qui m'a fait m'intéressé de beaucoup plus près à la gravitation quantique à boucle !
Passionnant exposé qui m'a fait me pencher plus en profondeur sur la gravitation quantique à boucle !
Heureux que cela vous ai plu et intéressé. Je suis également content que cela ait pu vous amener à vous intéresser à la gravité quantique à boucle. J’ai fait le choix de ne pas introduire trop de notions, afin de ne pas perdre le lecteur.
Merci pour le commentaire, ça montre que je n’ai pas rédigé cet article en vain !
Au passage, je signale que, pour éviter les problèmes de pourriel, le premier commentaire émit par une adresse électronique doit être approuvé. Normalement, je le fais en quelques heures (le temps pour moi de prendre connaissance du commentaire). Une fois ce premier commentaire approuvé, les commentaires suivant émanant de cette adresse électronique sont automatiquement publié.
Mes plus plates excuses pour ce spam bien involontaire...
Au passage, je me permets d'indiquer que j'ai appris l'existence de votre blog par le biais de votre inscription à l'association MO5.com dont je suis moi aussi nouveau membre.
Vos commentaires n’ont rien à voir avec du spam, d’ailleurs je les ai approuvé sans réserve. Pour tout dire, ils m’ont fait plaisir. En revanche, il semble bien que vous vous soyez fait avoir par la modération, du coup j’en ai profité pour transmettre l’information, en espérant que ça aidera la marée à venir (soyons optimiste) de personnes voulant poster un commentaire ici !
Excellent article (enfin je n'y connais pas grand chose, mais en tout cas c'est passionnant) qui me rappelle les qualités de vulgarisateur d'Etienne Klein, donc merci pour cette culture scientifique. Il me tarde de lire d'autres choses dans le même domaine, même si ça doit me dépasser techniquement ou mathématiquement. Je n'ai pas peur de cogiter !
Merci du compliment : Étienne Klein, avec Jean-Pierre Luminet, est un de mes deux modèles en ce qui concerne un scientifique qui vulgarise ses sujets. Honnêtement, vu les qualités de vulgarisateur et de pédagogue d’Étienne Klein, je ne suis pas certain que le compliment ne soit pas un peu exagéré, mais je le prends quand même !
Les articles « Comment j’ai prolongé les travaux de Galilée » et « Tout est relatif, mon cher Bruno », ont, entre autre, pour objectif de présenter des éléments qui me permettront d’entre plus dans les détails concernant mes sujets de recherche. Le prochain article de la série sera consacré au principe de parcimonie et doucement nous allons en arriver à la physique classique.
Précisément sur le même sujet que cet article, je vais prochainement parler de l’historique des modèles cosmogoniques. Comme je vais aussi finir par arriver aux révolutions de la physique au XXe siècle, nous allons revoir passer l’expansion et toutes ces sortes de choses.
Cela dit, dans l’avenir le plus proche, je vais débuter une série de vidéos qui feront le lien entre cultures de l’imaginaire et cultures classique et d’avant-garde. Pour ne rien cacher, ce sera aussi l’occasion de parler de science de manière un peu différente.
Bref, beaucoup de projets, mais il faut penser que je prends le temps de faire les choses bien, donc si je suis à peu près sur une moyenne de deux publications par mois sur le site, je ne publierais jamais une fois par semaine : se serait sacrifier le fond au rythme de publication.
Mais c'est fantastique tout ça. Je vais lire les articles déjà parus, que mon avidité soit momentanément repue ! Bon travail pour la suite.