Tout va bien, le premier ministre veille !

Nous autres, Français, que n’avons-nous pas manqué de moquer les États-Unis, qui, suite au 11 septembre 2001, ont sombré dans une politique de surveillance tous azimuts. Fort heureusement, les Français, bien plus intelligents que les Américains, sont immunisés à ce genre de travers. Les réactions politiques aux attaques terroristes du 7 au 9 janvier 2015 en région parisienne donnent l’occasion de le prouver…

Voilà donc qui donne le sujet de ma première entrée dans ce journal. J’aurais préféré que ce ne fût pas le cas. Malheureusement, au vu de la situation actuelle, cela risque de devenir un sujet récurent de ces pages.

Qu’est-ce donc qui me fait plus particulièrement réagir ?

Un nouveau projet de loi concernant les pratiques de surveillance a été présenté au Conseil des ministres français le 19 mars 2015. L’examen de ce projet de loi, en urgence, à l’Assemblé nationale a commencé le 13 avril, devant un hémicycle presque vide. Si l’on peut se féliciter que le législateur se décide à donner un cadre légale à certaines pratiques, plusieurs dispositions du texte sont de nature véritablement inquiétante. Cependant, il n’y a pas que le projet de loi. Il y a aussi le peu de réaction qu’il suscite dans le monde politique.

Dès le lendemain de la grande manifestation de solidarité à Paris, c’est-à-dire le 12 janvier 2015, Claude Guéant estimait que l’on pouvait aisément renoncer à certaines libertés. Comme il semble faire partie de ceux qui pensent que l’on peut mener une « guerre contre le terrorisme », je m’étonne qu’il n’y ait pas eut de vrai réaction à cet acte de reddition.

Cependant, sur un point, Claude Guéant a raison : il n’est pas difficile de renoncer à sa liberté. En revanche, il faut ensuite en subir les conséquences et revenir en arrière peut être bien difficile. D’autant que les terroristes s’en sont pris à notre liberté. Abdiquer cette liberté ne manque pas de sonner comme une victoire pour eux.

Bien entendu, dans cette histoire, le débat est toujours ramené au « tout ou rien ». Si l’on s’inquiète des atteintes faites aux libertés, c’est que l’on défend la liberté des terroristes. C’est bien là un des problèmes dans le débat, ou plutôt l’absence de débat, actuel : la moindre expression d’une inquiétude, pourtant fondée, est renvoyée au fantasme, à l’idée que ce serait dû à une absence d’information (sans se soucier de donner ces informations) ou à un laxisme. Ceci finit par faire passer l’idée qu’il n’y aurait pas d’alternative ; pourtant, si les défenseurs du projet de loi étaient si assurés, il leur serait tellement plus facile de simplement répondre par l’intitulé des dispositions permettant d’éviter les abus.

Pas d’alternative, vraiment ? Des lois en faveur d’une plus grande surveillance auraient-elles permis d’éviter la tragédie ?

Une récente enquête du journal Le Monde permet sérieusement d’en douter, car il y apparait que ce n’est ni la loi ni le contrôleur, mais bien ses propres erreurs qui a fait que la DGSI a été incapable de prévenir l’attentat. Ce sont bien des erreurs humaines au sein de la DGSI qui l’ont rendue aveugle.

L’erreur est humaine.

Ce qui devient plus diabolique, c’est que, toujours d’après cette enquête, la DGSI a également mis en place une communication mensongère, visant à faire porter la faute à la CNCIS, l’organisme indépendant en charge du contrôle. Non seulement on refuse d’assumer ces erreurs, mais en plus on cherche à se débarrasser des gardes-fous. Tous les ingrédients nécessaires à une confiance aveugle envers cette institution.

D’autant que des précédents existent ; certains ont même fait grand bruit.

Les révélations d’Edward Snowden ont rappelé une tendance naturelle que Montesquieu avait formalisée dès 1758 dans le livre XI de son ouvrage De l’Esprit des lois :

« C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser (...) Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »

En l’espèce, la NSA s’est vu dotée de tout pouvoir pour instaurer une surveillance automatisée et généralisée de l’intégralité des télécommunications mondiales. Ceci sans contre-pouvoir pour réguler cette surveillance. Très étonnamment, la NSA s’est donc adonnée à une surveillance systématique de l’intégralité des télécommunications mondiales.

Cela dit, ces révélations n’ont guère été suivies de protestation de la part du monde politique.

Bien entendu, la France, héritière des Lumières, est immunisée à ce genre de pratiques. C’est la raison pour laquelle plusieurs ONG ont récemment porté plainte contre les pratiques de surveillance de la DGSE.

Un autre élément qui permet de douter que cette loi aurait pu éviter les tragédies des 7 au 9 janvier 2015, comme les attentats de Mohamed Merah, c’est que l’on sait désormais que ni les frères Kouachi, ni Amedy Coulibaly, ni Mohamed Merah, donc, n’ont fait usage d’Internet ou de téléphone portable dans le cadre de leurs actes terroristes.

Or, les dispositions de la loi entraine un large spectre de collecte de données et de surveillance. Soit un pouvoir très large, qui donc tendra vers l’abus de pouvoir.

C’est là le point essentiel : si un état a quelques légitimités à être en mesure de parfois analyser les communications sur son territoire, ceci doit être réalisé dans un cadre légal strict. La volonté de mettre en place ce cadre légal me semble donc une bonne chose, mais c’est justement ce cadre qui pose question. C’est une des raisons pour lesquelles ce projet de loi s’est attiré une galaxie hétéroclite d’opposants, où l’on trouve certes des associations agissant pour les libertés sur Internet, comme La Quadrature du net ou le French Data Network, mais aussi des organisations soucieuses des libertés, telles Reporters sans frontières ou la Ligue des droits de l’Homme, mais également les régulateurs d’état et la justice comme la Commission nationale de l’informatique et des libertés ou le Syndicat de la magistrature, mais aussi les regroupements de professionnel tels que la CGT police ou l’Association française des éditeurs de logiciels. Devant un tel rassemblement d’opposants, il serait rapide de simplement rejeter cette opposition à du fantasme, une volonté de défendre les libertés des terroristes ou une absence de lecture du projet de loi.

Les lois françaises encadrants les possibilités de surveillances sont à l’heure actuelle inadaptées, datant d’une époque où les téléphones portables et Internet n’étaient pas aussi développés. Il est donc bienvenue de les mettre à jour. Cela dit, dans le cadre démocratique, il me semble nécessaire que les principes suivant soient assurés :

  • La décision d’intrusion dans la vie privée d’un citoyen doit nécessairement être prise sous l’autorité d’un juge.
  • Il importe qu’une commission soit chargée du contrôle des pratiques de surveillance, a priori et également a posteriori.
  • Il faut des garanties concernant la protection des sources des journalistes.
  • L’utilité de la « boîte noire » est contestable. Cela dit, si elle doit être mise en place, alors il est essentiel que les algorithmes qu’elle emploie, ainsi que son implémentation, soient connus. Ceci ne l’affaiblirait pas, au contraire. Par exemple, les systèmes GNU/Linux et *BSD permettent un degré de sécurité bien supérieur à ce que l’on peut obtenir avec Microsoft Windows et OS X. Il s’avère que le caractère ouvert de ces deux premiers systèmes est un des points qui permettent une sécurité accrue.
  • Concernant les données privées, c’est le rôle de la CNIL de réguler leur collecte. Elle doit donc être partie prenante du processus.

Aucun de ces points n’étaient totalement assurés dans le projet de loi initial, mais il est parfaitement possible de l’amender de telle sorte qu’ils le soient. Le principe de la démocratie étant que les citoyens se mêlent de ce qui les regarde, je pense approprié d’interpeller nos représentants nationaux, c’est-à-dire les députés, sur ces questions essentielles.

Vu d’ici, cela donne l’impression que la France se dirige vers un état de surveillance. Il suffirait pourtant de quelques efforts pour que ce ne soit pas le cas.

Publié par

Yoann Le Bars

Un enseignant-chercheur avec un peu trop de centres d’intérêts pour pouvoir résumer…

7 réflexions au sujet de « Tout va bien, le premier ministre veille ! »

  1. On peut clairement déclarer que les temps sont durs, de nos jours, pour les journalistes un peu partout dans le monde, si on prend en compte les découvertes faites quant à la surveillance des citoyens, et notamment des journalistes et de leurs sources.
    voici donc un guide, écrit par un journaliste pour ses collègues partout dans le monde. Il pourra les
    aider à protéger leur travail et accomplir leur mission.
    https://fr.vpnmentor.com/blog/la-confidentialite-en-ligne-pour-les-jou

    1. Merci pour ce message. Le lien donné est effectivement intéressant et mérite le détour.

      J’en profite pour signaler, comme nous en avons parlé rapidement en privé, que je suis intéressé pour éventuellement réaliser un ou une série d’articles sur la question de la liberté de la presse – ainsi que de l’importance de cette presse – en collaboration.

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